Zéphyr de délicatesses

par Esther Aliénor

Campé sur la rive est du lac d'Annecy, le bourg de Talloires affiche la discrétion d'une thébaïde au sein de laquelle la quiétude règne en maîtresse immémoriale. En découvrant les berges de ce lac, véritable écrin bleuté cerclé par les montagnes majestueuses des Aravis, l'impératrice Eugénie se pâma, le souffle court : «Ah! Que c'est beau!» Chez le Père Bise, entourée d'une nuée de têtes couronnées, elle goûtera aux plaisirs simples d'une cuisine succulente. «Ah! Que c'est bon!» s'est-elle sans doute exclamée.



Aujourd'hui, l'Auberge du Père Bise, riche d'un héritage séculaire, soulève le même souffle d'admiration. Preuve que les plaisirs subtilement simples ne se démodent jamais...

La saga des Bise
C'est en 1903, dans ce petit coin de Haute-Savoie, que débute l'épopée hôtelière et gourmande des Bise. François et Marie y possèdent alors un petit chalet, au bord du lac, qu'ils convertissent en un bistrot offrant une cuisine familiale concoctée par Marie. En ce début de siècle un peu fou, si le bistrot à la française est ordinairement un lieu de rassemblement des villageois, celui du couple Bise devient l'étape favorite des fines bouches de l'aristocratie européenne que le grand duc Serge de Russie a drainées dans son sillage. Peu avant de subir son destin cruel, ce descendant des tsars avait adopté le bistrot des Bise pour s'y délecter des meilleures pièces d'une restauration authentique.


Au fil du temps, le chalet s'est métamorphosé en hôtel, arborant en toute simplicité l'enseigne Chez le Père Bise. Les visiteurs cossus pouvaient ainsi profiter non seulement de l'excellence de la table, mais aussi d'une nature propice aux balades en barque sur le lac et aux activités halieutiques. Rapidement, ce lieu d'agapes jouira d'un prestige que le futur se chargera de renforcer.
Dès 1928, le fils Marius se lance dans des travaux d'envergure en vue d'agrandir le bâtiment. Une véritable auberge est en train de se bâtir qui portera le nom de Chalet-Restaurant Bise. Pour l'heure, chez les Bise, ce sont surtout les femmes qui s'activent en cuisine. Marguerite, la femme de Marius, y brillera en 1931, lorsque l'établissement sera cité pour la première fois dans le prestigieux Guide Michelin. Deux ans plus tard, deux étoiles signalant «une cuisine excellente» qui «mérite le détour» couronneront l'imagination culinaire de Marguerite. Ses hôtes, aussi célèbres que l'Aga Khan, Winston Churchill ou Sacha Guitry, y viennent flatter leurs papilles gustatives de ses «grands classiques» que sont le gratin de queues d'écrevisses, la poularde de Bresse à l'estragon ou encore les poissons du lac d'Annecy, dont l'omble chevalier et la féra.
Dans la cuisine de Marguerite Bise, le fils François assiste en témoin privilégié à la naissance des mises en bouche créatrices maternelles. Il s'éveille ainsi à l'art culinaire et décide, à 18 ans, de prendre son bâton de pèlerin-apprenti. Dans les sphères cabalistiques fréquentées par des cuisiniers aussi réputés que Bocuse, Troisgros ou Chapel, François Bise perce les mystères de la très grande cuisine. En 1951, après cinq ans de «conservatoire gastronomique», le jeune François retrouve les pianos de la famille.


Entre-temps, l'auberge a accroché à son firmament une troisième étoile du Guide Michelin, se propulsant dans le cercle réduit des établissements de prestige. Marius et Marguerite se réjouissent du retour d'un fils armé d'un savoir considérable et d'une motivation inaltérable. Ce dernier, encouragé par son inspiratrice maternelle, se lance avec maestria dans l'innovation culinaire, marquant la cuisine française de sa tourte de canard truffé, de sa blanquette de homard breton aux petits légumes et de ses filets de perche Marguerite, en hommage à sa géniale génitrice.
Placée entre les mains de François et de son épouse Charlyne, l'Auberge du Père Bise étend sa renommée hôtelière. Tout naturellement, leur fille Sophie deviendra la dépositaire des secrets et du savoir-faire enrichis au fil des générations. Lorsque François s'éteint prématurément en 1984, Sophie a 21 ans et ne se sent pas encore prête à poursuivre l'œuvre
de son père. Avec bravoure et talent, Charlyne maintiendra intact l'héritage des Bise en attendant le retour de sa fille.
Après de nombreuses années hors du giron familial, qui lui permettront d'acquérir une assurance et de confirmer son talent, Sophie Bise retrouve enfin ses racines. Entre ses mains expertes, l'Auberge du Père Bise entame, toute auréolée de prestige, un autre siècle de lumière dans la plus pure tradition hôtelière.

Les saveurs de Sophie, fée du lac


Du chalet séculaire, il ne reste que ce parfum d'authenticité garant d'un intense bien-être. Avec ses 20 chambres, 3 appartements et 2 salles de réunion, ainsi que ses terrasses et jardins privés, l'Auberge du Père Bise présente la fiche parfaite d'une hôtellerie de très grande classe. Chaque chambre possède sa propre identité, du style Empire en passant par l'Art déco ou le Romantique. Tout un luxe affable rehaussé par la magie d'un lac épargné par le temps et qui doucement bat ses bords. Les grands poètes romantiques se sont toujours noyés d'émotion dans les ondes lacustres. À l'Auberge du Père Bise, les visiteurs contemporains puiseront à de nouvelles sources de délectation et de volupté. Là, le luxe sait être authentique, simple et rassurant!
Enfin, ces délices ne serait complètes sans les extases que provoquent les saveurs de la bonne chère. Sophie Bise est une fée sensible et chevronnée. Hiver comme été, sur la terrasse ou dans la magnifique salle à manger, les gourmets pourront se laisser envoûter par son talent créateur tout en saisissant du regard les ondes chatoyantes du lac.
Tout est là. Il suffit de goûter aux saveurs de Sophie. Héritière surdouée, cette diva des cuisines nous enchante par le concert exquis de son improvisation. Sur sa portée se déploient ainsi les harmoniques de la poitrine de canette des Dombes laquée, fraîcheur de petits pois et sauce acidulée; le turbot de ligne vapeur, morilles brunes et asperges vertes; l'escalope de foie gras de canard poêlé, pain perdu aux fruits rouges et gingembre... Et pour réincarner le génie familial, la poulette de Bresse braisée à l'estragon et le gratin de queues d'écrevisses façon «Marguerite Bise» figurent parmi les nombreuses blandices inscrites à la carte. Non, décidément, une visite à l'Auberge du Père Bise illustre combien ces plaisirs-là ne se démodent pas !
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