Si Vernet nous était conté...

par Esther Aliénor




Il existe mille et une façons de vivre Paris. On peut fréquenter assidûment les innombrables musées, lécher d'envie les vitrines des boutiques de luxe, déambuler jour et nuit sur les Champs-Élysées, courir les petits et grands spectacles, s'abandonner sur les berges de la Seine, s'afficher à la terrasse d'un café de Saint-Germain-des-Prés... ou choisir la vie parisienne de l'Hôtel Vernet, dans le cadre exceptionnel de ce palace miniature, à deux pas de l'arc de triomphe de l'Étoile. Pour nous, la rencontre avec le Vernet fut l'occasion d'un pur émerveillement : celui de découvrir enfin ce que signifie «l'art de recevoir à la française».

À notre arrivée dans la capitale de l'Hexagone, nous n'avons pas eu le temps de regretter la journée qui s'annonçait maussade... En une fraction de seconde, le sourire ensoleillé de Patrick, le concierge de l'Hôtel Vernet, a su effacer toute fatigue liée au voyage et au décalage horaire. Étonnamment, dans ce décor typique de la Belle Époque, nous nous sommes aussitôt sentis chez nous.

Palace de charme
C'est à Albert Sélonier, artisan réputé de l'architecture du début du xxe siècle, que l'on doit la beauté si particulière de certains immeubles de la plaine Monceau, dont l'Hôtel Vernet est le parangon.
Alors que Coco Chanel réinvente la marinière et que Stravinski présente son Sacre du printemps avec le génial concours d'un Nijinski déchaîné, au Théâtre des Champs-Élysées, le petit hôtel familial des frères Percepied est en passe de devenir l'une des plus prestigieuses adresses de l'hôtellerie française. Et même si, depuis ces années 1900, ce bijou Art déco a subi les rénovations nécessaires au confort moderne, les propriétaires ont su en maintenir le charme romantique et l'élégance discrète mais luxueuse qui caractérisent si bien le VIIIe arrondissement.
Nous ne sommes pourtant pas entrés dans un «immeuble musée», mais bien dans un lieu vivant et vibrant sous l'éclat d'une décoration authentique. Les meubles Boulle, les statues de bronze de Fayral, les luminaires de Gallé, les tapis persans, le marbre et le parquet d'époque exhibent sans l'ombre d'une ride les principales préoccupations des Années folles : le luxe et la perfection.
Justement, l'hôtel vient de terminer des rénovations orchestrées avec doigté par l'architecte d'intérieur Caroline Veille. Jouant sur le contraste de la modernité (couettes et couleurs) et de la tradition (meubles d'époque, parquet du début du siècle dans certaines), chaque chambre est unique, obéissant au principe appliqué par la designer, «une chambre, une harmonie», sans jamais trahir la personnalité du lieu, son élégance et son raffinement.

Des instants au Vernet
Il était 8 h du matin lorsque nous avons pris possession de la chambre 501. Dans le couloir silencieux, nous avons eu le plaisir de rencontrer la pétillante Birgit, gouvernante générale, qui inspecte quotidiennement les 42 chambres et 9 suites du Vernet. Un bouquet de fleurs nous attendait sur la petite table du salon. Après un coup d'œil ravi sur ce décor luxueux qui allait devenir notre nid douillet, nous avons emprunté l'ascenseur vitré pour aller prendre le petit-déjeuner.
Sise sous une verrière signée Charles Champigneulle, pour le vitrail, et Gustave Eiffel, pour la charpente métallique, la salle à manger offrait à nos regards un buffet digne d'un shah : jus de fruit, compositions variées de jambon, de volaille et d'œufs, fruits frais ou en salade, laitages, céréales, madeleines et cakes. Mais malgré ce vaste choix, nous nous sommes laissés tenter par la dégustation très spéciale d'œufs brouillés au caviar osciètre. Une sorte de prélude à ce qui allait être notre première journée à l'Hôtel Vernet !
Ragaillardis par tant de saveurs exquises, nous avons décidé d'explorer les environs de la rue Vernet. Avec l'aide précieuse de Patrick, l'homme aux clés d'or, nos pas ont alors foulé le sol magique du fameux Triangle doré, avant de regagner le Vernet et d'y déguster un déjeuner signé par Éric Briffard, le chef du restaurant Les Élysées.

Une grande table étoilée
De retour sous la même verrière, confortablement installés au creux des fauteuils en velours couleur framboise, nous étions prêts à vivre l'extraordinaire aventure gastronomique d'un restaurant
quatre étoiles. Dans cette rotonde généreuse et féerique, les murs exposent les toiles lyriques de l'artiste contemporaine Catherine Barthélémy.
























Il est des instants baignés par la perfection. Celui-ci, aux Élysées, en aura été un bien particulier. La carte, très ouverte et ludique, nous invitait à entrer dans une valse de délices : un tourteau aux pétales de daïkon, un homard bleu cuit sur sel aux aromates, un bar poché au vadouvan, une daurade royale crue, des tagliatelles aux asperges et morilles, une salade acidulée à la fraise Gariguette ou des fruits rouges en gelée d'hibiscus, etc.
Finalement, nous avons opté pour une araignée de mer au crémeux de laitue : une mousse aérienne et évanescente à la saveur iodée et au goût d'amande amère. Nous n'avons pas su résister au fameux pithiviers de chasse, qui consiste en une tourte feuilletée de gibier à plumes, de cèpes et de foie gras. Pour le dessert, nous nous sommes tournés vers le chocolat noir grand cru en tarte fine soufflée aux framboises et accompagné d'un sorbet au thé vert… avant de succomber au charme du citron de Menton confit en biscuit moelleux au thym et sauce mélisse.
Le créateur de ces merveilles, Éric Briffard, aussi le directeur des Élysées, nous a traités comme un Français sait recevoir ses convives. Homme de passion, cultivant une gastronomie hétéroclite, généreuse et sensuelle, Éric Briffard résume ainsi sa mission : «Je souhaite que le restaurant soit une salle à manger gourmande.» Pari gagné pour ce quadragénaire talentueux qui, les jours suivants, n'en finira pas d'étonner nos palais gourmands.
Après une sieste bien méritée, alors que certains clients se dirigeaient vers les Thermes du Royal Monceau, situés à quelques pas de là, nous avons été attirés par les sons mélodieux d'un piano. C'était l'heure du before, comme disent les Français. Au bar Jaïpur, adjacent au hall d'entrée, étaient accoudés des Parisiens familiers de l'endroit.
Cernés par les boiseries couleur d'ébène de Macassar et les miroirs qui reflètent la lumière des appliques en perles de verre, nous nous sommes confortablement calés dans les coussins moelleux d'un canapé. Après plusieurs mojitos et avant que la fatigue ne s'empare de nos corps, nous avons commandé curry indien de poulet. Plus tard dans la soirée, à la sortie des théâtres, un premier groupe est venu prendre un after qui, selon la coutume, se termine aux petites heures du jour.
Nous avons alors regagné notre chambre coquette, l'esprit gavé du bonheur d'être, et pour quelques jours encore, les heureux bénéficiaires d'une tradition que poursuit sans relâche l'Hôtel Vernet : «l'art de recevoir à la française».
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