L'argent au service des gens

Cahier spécial du magazine Entreprendre











De Dakar à Antananarivo en passant par Bamako, Guanajuato ou Pékin, des réalisations concrètes améliorent le sort des plus démunis et leur permettent d'envisager l'avenir autrement. À sa manière, chaque communauté met des ressources financières au service des besoins et du développement locaux.

Un simple coup de pouce financier fait souvent la différence. À Dakar, au Sénégal, Mamadou Touré, directeur de l'Union des mutuelles du partenariat pour la mobilisation de l'épargne et le crédit (UM-Pamecas), un programme financé par l'ACDI, nous en fournit un exemple éloquent: «Une veuve à qui nous avons accordé un prêt de 25000 FCFA (environ 50 $) a ouvert un petit commerce qui lui a permis de se libérer progressivement de ses dettes et de subvenir aux besoins de sa famille. Actuellement, elle paie les études de ses enfants et, quand nous lui avançons 5 millions de FCFA (10 000$), cela ne lui suffit même plus. Les histoires de réussite de ce type sont nombreuses. La question qui se pose est de savoir si nous aurons la capacité de répondre à ces jeunes entrepreneurs qui réclament des prêts de plus en plus importants ainsi qu'une plus grande diversité de nos services.»

Le succès d'UM-Pamecas s'explique par une approche axée sur le milieu : «Nos agents offrent une formation en gestion financière à ces petits entrepreneurs, ils les assistent dans les études de marché et de faisabilité et les initient aux techniques de vente afin de leur permettre d'aller plus loin. Nos conseillères vont rencontrer leurs clientes dans les marchés, dans les vilages pour monter les dossiers et échanger. L'agent de crédit crée ainsi un lien de confiance, comme celui qui existe entre un médecin et son patient. Cette approche est très appréciée mais son revers est que, lorsque le portefeuille et le nombre de clients augmentent, la conseillère a du mal à accepter de nouveaux membres car les anciennes ne veulent pas se séparer d'elle.»

Bien que l'avenir semble prometteur et les perspectives de diversification infinies, M. Touré se montre prudent : «Nous devons veiller à ne pas grandir trop vite, bien que nous recevions plusieurs offres de financement de bailleurs de fonds pour développer de nouveaux secteurs. Ce n'est pas une affaire d'argent mais de capacité d'absorption; nous devons d'abord consolider nos acquis. Il est indispensable de trouver un moyen d'accompagner nos clients dans leur croissance afin de ne pas demeurer une éternelle pépinière. Nous avons aussi le défi de conserver les ressources humaines que nous avons formées en leur offrant des perspectives de carrière intéressantes.»

Cap sud-américain
Si, en Afrique, la gestion de la croissance est au centre des enjeux, en Amérique latine, la partie se joue autour de la concurrence et de la législation, fait remarquer Adriana Maturana, codirectrice du projet Multiplica au Mexique, un partenariat entre DID et l'État de Guanajuato: «En Afrique, la population est plus engagée qu'en Amérique latine, où il existe diverses façons d'octroyer du crédit aux individus. Au Mexique, le crédit sur les biens de consommation est très facile à obtenir même si les taux d'intérêt sont très élevés et cela même s'il existe des Caisses d'épargne et de crédit (CEC) depuis 50 ans. La difficulté vient de ce qu'aucune réglementation uniformisée n'encadre la microfinance. C'est une situation difficile où l'on retrouve divers types d'institutions dont l'encadrement et la reddition de compte doivent être améliorés et unifié: des associations civiles qui ne répondent qu'au code civil, les coopératives de crédit mises en place sous le couvert de la loi générale des coopératives et des sociétés d'épargne et de crédit contrôlées par l'État à travers la Commission bancaire nationale. Cela donne un mouvement très dispersé et peu intégré.» Dans ce contexte, les institutions qui sollicitent les dépôts des populations ne présentent pas toutes le même niveau de contrôle, ce qui a donné lieu récemment encore à des ratés importants dans le secteur financier non bancaire qui causent détresse et réduisent la confiance des populations. «Un gigantesque effort est mené présentement pour corriger ce flou juridique et permettre progressivement d'assurer que le secteur sera plus discipliné. Notre projet collabore activement à cet effort.»

C'est d'ailleurs dans cet esprit que l'actuel président mexicain Vincente Fox, à l'époque gouverneur de l'État de Guanajuato, a invité DID à appuyer les réseaux présents dans cet État en 1998: «C'est un programme de démocratisation des services financiers qui repose sur un principe énoncé par M. Fox: Ne pas donner mais donner l'opportunité de faire quelque chose. Nous avons d'abord procédé à une campagne d'information pour mieux faire connaître les services offerts et regagner la confiance à qui voyait apparaître et disparaître des structures à cause d'une absence de législation. Dans ce sens, nous avons fait campagne auprès des députés pour leur montrer la nécessité d'une loi afin d'éviter les abus et le camouflage d'activités lucratives sous le label coopératif. Nous avons ainsi pu créer une unité de contrôle qui réalise déjà des activités de surveillance et procèdent déjà à des inspections.»


Les lendemains semblent prometteurs : «Le Mexique est un pays de 100 millions d'habitants dont à peine 15 % ont accès aux services financiers. Juste dans l'État de Guanajuato, il y a 500 Caisses de base. Les efforts de rationalisation vont en faire disparaître quelques-unes qui ne répondent pas aux normes financières, mais il y a de la place pour des structures sérieuses et organisées», explique Mme Maturana.

La longue marche
Les Rural Credit Cooperatives (RCC) dominent l'univers coopératif en Chine. Ce réseau de 42000 institutions financières vieux de 50 ans est depuis 3 ans en processus de réforme en partenariat avec DID: «Notre contribution est entre autres d'introduire des produits de microfinance au sein du réseau des RCC en donnant au partenaire des références sur les valeurs coopératives, les pratiques de gestion et d'exploitation des caisses populaires. Nous fournissons surtout de l'assistance technique car il n'existe pas de problèmes de fonds dans un réseau dont l'actif total est de 270 milliards de dollars canadiens. Au centre de notre stratégie, se trouve le renforcement des ressources humaines et des expertises. Cela a permis aux RCC de mieux répondre aux agriculteurs, qui constituent la principale clientèle cible, et de développer des nouveaux segments de marché», explique Peter Situ, chef de mission de DID.

Les réformes en cours offrent d'excellentes perspectives, affirme M. Situ: «La Chine est un grand marché pour les produits de microfinance. Les paysans représentent 80 % de la population chinoise, soit 800 millions de personnes. Actuellement, les 42 000 caisses du réseau servent près de 266 millions de personnes, à peine un tiers de la population rurale. Le potentiel est énorme bien que les défis de gouvernance, d'organisation et d'exploitation qui permettront de les rentabiliser soient importants. Les véritables réformes ne datent que de 1996. Avant 1987, les RCC n'étaient qu'un instrument de l'État pour accorder les prêts gouvernementaux et la gestion était confiée à la Banque centrale.» Aux côtés du RCC, la Chine rurale entreprend une longue marche vers l'autonomie financière des moins nantis.


Défis régionaux
Les principes de finance communautaire sont partout semblables mais chaque continent fait face à des défis particuliers.

Amérique latine: La microfinance y occupe une place importante. Les liens des IMF avec les banques commerciales et même l'entrée des banques classiques dans le secteur de la microfinance créent une plus forte concurrence parmi tous les acteurs (coopératives, ONG, institutions financières non bancaires et banques), surtout dans certains pays comme la Bolivie. Le défi est d'emmener les institutions en place qui captent des dépôts et qui déjà répondent à des pratiques de saine gestion à s'intéresser à ces clientèles.

Asie: À part des géants comme la banque Grameen et BRAC au Bangladesh, qui ont des millions de clients, la majorité des IMF en Asie par rapport à la population sont plutôt petites mais elles sont très efficaces car les coûts de gestion du portefeuille sont minimes. Le défi est d'assurer une bonne gouvernance, une bonne gestion, la rentabilité et la pérennité.

Afrique: Il est important de bien gérer la croissance, qui est impressionnante dans certains pays, surtout en Afrique de l'Ouest et australe. Il faut stabiliser les opérations et garder à l'œil les coûts de gestion, qui en général sont plus élevés que sur les autres continents. La productivité est à améliorer.

Europe de l'Est : C'est un autre monde, où la microfinance côtoie le financement des PME, ce qui permet aux institutions d'atteindre le seuil de rentabilité beaucoup plus vite qu'ailleurs parce que les montants des prêts sont plus élevés. Les IMF doivent gérer la croissance et maintenir une bonne gouvernance.

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