Le temps des investissements
L'accès au capital est l'un des talons d'Achille des IMF, mentionne M. Paradis: «Pour les coopératives qui ont atteint un certain degré de maturité, en particulier sur des marchés de plus en plus structurés comme en Amérique latine, la compétition se resserre, les fusions et acquisitions se profilent et les institutions n'ont pas la trésorerie nécessaire pour intégrer ce mouvement ou accompagner leurs membres dans leur croissance. Cela risque soit de stimuler le phénomène de la démutualisation dans les pays de l'OCDE, c'est-à-dire d'empêcher les entrepreneurs coopératifs de tirer avantage d'occasions historiques dans les pays dont les économies sont en émergence tel que la Hongrie ou la Pologne.» Selon Pierre David, président de SCHL, qui a longtemps dirigé le Programme de coopération industrielle de l'ACDI, l'enjeu est capital: «L'investissement est un moyen d'éviter les pièges des subventions qui, à cause de la nature de l'instrument financier, ne livrent pas les meilleurs résultats. L'investisseur sera plus exigeant sur la performance des gens et des institutions. Quant aux opérateurs, en dépassant le rôle de pourvoyeurs de services professionnels, ils aideront à bâtir des institutions financières efficaces et efficientes dans les pays en développement.» La levée du capital auprès du public ou des investisseurs privés n'est pas évidente, admet M. Paradis: «Selon les principes de base dumodèle coopératif, aucune appréciation du capital n'est possible, les taux de rendement sur celui-ci sont limités et l'importance du capital possédé n'a pas d'influence sur le pouvoir du détenteur. Je pense qu'il faudrait limiter l'intérêt sur le capital pour les parts de qualification mais non pour les autres types d'investissement. Par ailleurs, la communauté coopérative se doit de mettre en place un fonds international d'investissement qui stimulerait des partenariats avec des investisseurs locaux et internationaux ainsi qu'avec des agences de développement. Il est temps que les opérateurs se dotent d'une capacité d'investissement et de financement. Des montages innovateurs sont à élaborer et des projets générateurs de rendement sont à concevoir.» L'essence du mouvement coopératif Développement international Desjardins (DID) a démarré sa fonction d'investissements financiers en 1996 avec la création du Fonds de partenariat, qui fut suivi en 1999 du Fonds de garantie et en 2000 du Fonds de développement international (FONIDI). Ces nouveaux outils intègrent, à différents niveaux, la préoccupation de rentabilité, explique Pierre Émond, vice-président aux investissements et financement de DID: «La raison d'être de cette nouvelle fonction est de réaliser des opérations de financement et d'investissement auprès d'institutions ou de fonds spécialisés du secteur financier et de l'économie sociale de pays en développement et en transition en respectant les lois du marché et nos valeurs de développement. Les investissements faits à même ce fonds viseront des partenaires capables d'absorber des capitaux à moyen terme sur une base commerciale dans des créneaux de marché qui pourront générer des rendements se situant autour de 17 %.» Faut-il pousser l'audace jusqu'à fonctionner selon les lois du marché dans les investissements? Fernando Lucano, directeur général de CYRANO Inc., la compagnie de gestion du Latin American Challenge Investment Fund (LA-CIF), et administrateur du fonds de capital de risque FAPE, un fonds dans lequel DID a investi, abonde dans le même sens : «Pour attirer des fonds privés, nous devons nous adapter aux lois du marché à trois niveaux: le prix, la rentabilité et la concurrence. En ce qui a trait à la fixation des prix, la concurrence est source de réduction des taux. En effet, dans les marchés où interviennent plusieurs institutions de microfinance, les prix baissent et la qualité du service augmente. C'est le cas de pays comme la Bolivie et le Pérou. Dans ces mêmes pays, où par ailleurs les portefeuilles des IMF sont supérieurs à 250 millions de dollars américains, la rentabilité est de l'ordre de 20% à 25 % en devises et les indicateurs de solvabilité défient n'importe quelle banque commerciale. En répondant aux attentes des investisseurs en matière de rentabilité et de risque, nous démontrons la compatibilité de la microfinance avec la loi du marché.» L'intrusion de la notion de rentabilité, sœur jumelle de l'investissement, pose la question de la survie d'institutions axées sur la coopération. Daniel Côté, professeur aux HEC qui publie une étude sur le mouvement coopératif, identifie un seul compromis possible: «Lorsque l'ondéveloppe le réseau d'affaires, il faut être capable de développer parallèlement et de façon aussi importante le réseau associatif. C'est la seule condition pour maintenir l'enjeu coopératif. Au Québec, Agropur est un bel exemple de réussite.» Les propos d'Alban d'Amour, président du Mouvement Desjardins, font écho à ceux de M. Côté: «La coopération ne serait plus la coopération si la vie associative en venait à être étouffée sous des impératifs opérationnels ou d'efficience mal intégrés. Entretenir cette vie associative et l'alimenter sans cesse tout en assurant efficacité et rendement représentent un défi permanent pour tout réseau coopératif.» Le défi du logement Dans les pays émergents, le secteur de l'habitat connaît une forte demande comme le montre une étude de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) sur la situation du logement au Mali: «La situation du logement est caractérisée par un déséquilibre important entre l'offre et la demande mais aussi par des besoins de plus en plus croissants dus à l'accroissement démographique dans les centres urbains. La pression démographique a été par ailleurs accompagnée d'une urbanisation rapide et mal maîtrisée. À cela, il faut ajouter la paupérisation croissante des populations urbaines, qui ne peuvent sans soutien financier faire face aux coûts de réalisation de leurs logements.» Ce cas reflète la situation de nombreux autres pays et ouvre des perspectives intéressantes, soutient Pierre David, président de la SCHL: «Dans les pays en développement, l'accès à l'habitation est un défi. L'expertise financière de la SCHL peut contribuer à mobiliser des liquidités qui aideront des institutions financières à gérer des prêts hypothécaires dans des pays en développement tout en minimisant leurs risques. L'approche est déjà appliquée au Mali, en collaboration avec DID, et nous espérons l'étendre à d'autres pays.» Retour à la liste |