La part de la microfinance






André Roy



Jennifer Isern



Ghislain Paradis
Dans les pays en développement, des millions depersonnes pauvres ont pu améliorer leurs conditions de vie en affectant à des activités économiques les emprunts contractés auprès d'institutions de microfinance. Progressivement, ces structures ont pris place dans les marchés des services financiers tout en tenant compte de considérations autres que le profit.

Le recours à la finance communautaire comme outil de développement dans les pays émergents s'étend rapidement. Effet de mode ou vague de fond? La préoccupation n'est pas récente, fait remarquer Jennifer Isern, spécialiste sénior en microfinance du Consultative Group to Assist the Poorest (CGAP), un consortium de 26 bailleurs de fonds (dont la Banque mondiale, l'Agence canadienne de développement international, le Programme des Nations Unies pour le développement et la Banque interaméricaine de développement) : «Depuis le début des années 60, les bailleurs de fonds s'intéressent aux différents services offerts par la microfinance issue du mariage entre les objectifs de lutte contre la pauvreté et ceux d'accessibilité aux produits financiers. Bien qu'au cours des années 80 on ait créé de nouvelles approches, fait preuve de plus de rigueur dans la gestion et vu l'arrivée de nouvelles technologies, il existait déjà une longue tradition de coopératives, de banques ambulantes ou rurales et d'autres formes parallèles, comme les tontines africaines, dans les pays en développement.»
«La microfinance doit être considérée comme un levier essentiel de développement communautaire...»

Émile Gauvreau, vice-président de la Direction générale Afrique et Moyen-Orient de l'ACDI, qui appuie depuis plus de deux décennies des projets de microfinance en Asie, en Amérique latine, en Afrique et aux Caraïbes, abonde dans le même sens: «La microfinance ne doit pas être considérée comme une mode, mais comme un levier essentiel et un vecteur stratégique de développement communautaire. Sans l'existence d'institutions qui rendent le crédit disponible, les populations les plus pauvres auraient très peu de moyens d'accéder à la ressource financière.»

L'adaptation au cœur
On n'attrape pas un hippopotame avec un hameçon, dit un proverbe africain. Dans la guerre contre la pauvreté, trois grands modèles se côtoient: le modèle coopératif ou mutualiste, celui des organisations non gouvernementales (ONG), et enfin celui des banques commerciales. Quel modèle privilégier dans cet appareillage hétéroclite pourtant orienté vers le même but?

L'accent doit être mis sur l'adéquation entre la méthodologie et le contexte, affirme Ghislain Paradis, président de DID: « Pour ce qui est du modèle coopératif, il ne faut pas se demander s'il est meilleur que tel autre pour rendre des services financiers à la population, car chacun a ses mérites; il faut plutôt s'enquérir si ce modèle est adapté et s'il a bien vieilli, si, au fil des ans, il reste toujours approprié pour s'attaquer aux réalités modernes ou si, au contraire, il a perdu de son efficience pour les économies en émergence.» Dans son action sur le terrain, DID accompagne ses partenaires dans l'offre de divers produits de microfinance dont le crédit agricole, celui aux microentreprises, à la consommation ainsi que plusieurs formes de crédit pour les femmes.

Même son de cloche pour Jennifer Isern, du CGAP, qui met au premier plan la gestion du risque: «Cela dépend de chaque pays, de chaque province ou localité. Il n'y a pas de forme juridique ou de méthode qui supplante l'autre. Il faut agir en fonction du groupe cible. Il faut pratiquer une approche marketing qui identifie clairement les attentes et les besoins du client potentiel et voir comment l'institution pourrait y répondre tout en gérant ses risques et en visant la rentabilité. Bien qu'un minimum de supervision et de réglementation soit nécessaire, il s'agit principalement d'une gestion des risques de l'institution financière, des bailleurs de fonds, des ministères des Finances ou des commissions bancaires.»

Traitement de choc
Les mots gouvernance, rajeunissement, innovation, maintien des valeurs coopératives, investissement et rentabilité reviennent continuellement dans les débats entre opérateurs, bailleurs de fonds et membres clients. Tous ces questionnements sont légitimes dans une industrie qui doit, pour assurer sa survie, s'adapter aux changements dans l'environnement mondial, à l'évolution des besoins des membres et aux attentes des communautés desservies.

Dans la réforme en cours, Jennifer Isern répertorie quatre défis majeurs: «Il faut d'abord investir dans les gens, c'est-à-dire les gérants d'institution. La microfinance est un secteur de gestion des gens; une bonne relation étant nécessaire entre le client et l'institution, cette dernière doit avoir une bonne équipe de gestion au lieu d'un seul individu qui supervise tout. Ensuite, viennent la gestion de la croissance, la gestion financière et la perfection des systèmes de gestion (contrôle interne, audit externe, systèmes d'information, procédures et manuels de fonctionnement...), et enfin la transparence dans les opérations vis-à-vis des bailleurs de fonds, des autorités locales, des auditeurs et évaluateurs des organisations.»

Le traitement de choc qui s'impose implique de nouvelles façons de faire, tant chez les opérateurs que chez les bailleurs de fonds, souligne Ghislain Paradis : «En ce qui a trait à la gouvernance, les postes de responsabilité doivent être occupés par des dirigeants régulièrement stimulés à faire mieux, étroitement surveillés selon des mécanismes de contrôle interne et par des intervenants externes, sanctionnés s'il y a lieu. Pour l'accès au capital, qui est souvent le tendon d'Achille du mouvement coopératif, je suis d'avis que les coopératives devraient ouvrir systématiquement leur actionnariat à des groupes d'investisseurs poursuivant les mêmes objectifs qu'elles. Des montages financiers innovateurs et des règlements internes clairs peuvent permettre un partenariat très productif et respectueux des intérêts de chacun et des principes coopératifs.»

«Il faut mettre en place un cadre réglementaire bien structuré qui, s'il est appliqué avec souplesse et sans complaisance, générera un effet d'épuration et de développement. Il est nécessaire que le partenariat entre les agences de développement et les opérateurs dépasse le cadre contractuel d'un seul projet. Il faut favoriser l'émergence des unités de base et de réseaux qui pourront un jour s'autosuffire, embaucher des techniciens et gestionnaires compétents et bien rémunérés. Enfin, il est temps que les opérateurs commencent à se doter d'une capacité d'investissement et de financement et ainsi mettre à risque leur capital dans les institutions avec lesquelles ils collaborent», poursuit le président-directeur général de DID, tout en insistant sur l'importance de ne pas y perdre son âme: «Nous devons continuer à servir les plus démunis, mais en demeurant rentables de manière à assurer aux prochaines générations l'accès aux mêmes services ou même à mieux.» L'enjeu est de taille car, comme dit l'adage: Si la perdrix s'envole, son enfant ne reste pas à terre.

Les principaux acteurs dans le marché de la microfinance

Les bailleurs de fonds: Ils assurent l'appui financier sous forme de dons, généralement aux États, mais aussi aux organisations non gouvernementales (ONG) et aux organismes partenaires, si les autorités locales donnent leur accord. Au Canada, l'Agence canadienne de développement international (ACDI) appuie des projets de microfinance en Asie, en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes depuis plus de deux décennies.

Les institutions de microfinance (IMF), parmi lesquelles on distingue trois principaux types d'intervenants:


  • les caisses et coopératives d'épargne et de crédit: propriété de la communauté, elles visent le marché local par des produits adaptés aux diverses clientèles (femmes, entrepreneurs...). Elles reçoivent des dépôts et octroient des prêts. Elles ont l'avantage de rejoindre des créneaux que les institutions bancaires n'étaient jusqu'à maintenant pas intéressées à cibler mais cela commence à changer;

  • les ONG financières: dirigées par des gestionnaires, elles peuvent avoir une couverture large. Elles se consacrent à faire des prêts aux microentreprises et à d'autres activités économiques à l'intérieur de programmes pour les pauvres. Jusqu'à maintenant, l'épargne ne constitue pas une priorité pour ce genre d'institution;

  • les institutions étatiques: mandatées par l'État pour couvrir des créneaux, elles accordent les crédits en fonction des priorités gouvernementales. Elles offrent des garanties sur les dépôts à vue, ont une présence dans l'ensemble du pays et représentent le système de paiement local.



D'autres approches sont aussi à considérer quand on parle de finance communautaire:


  • les caisses municipales (comme au Pérou): propriété de la municipalité qui les dirige, elles sont très proches de la population;

  • les banques du peuple (comme en Indonésie): les crédits subventionnés par le gouvernement ont été remplacés par une médiation financière localement profitable. Plusieurs appartiennent à des entrepreneurs privés;

  • les ONG financières sans licence;

  • les associations rotatives d'épargne et de crédit ou «tontines» en Afrique: les individus s'organisent pour faire face collectivement à leurs besoins, pour se prêter et s'emprunter des fonds les uns aux autres au sein d'associations qu'ils constituent eux-mêmes.



Lexique microfinancier

Microcrédit: offre de services de crédit adaptés à une clientèle moins nantie.

Microfinance: offre de services financiers adaptés à une clientèle moins nantie mais incluant la collecte de l'épargne, donc une préoccupation d'autosuffisance sur le plan de l'approvisionnement en fonds. Ce concept est préféré à celui de microcrédit.

Finance communautaire: secteur de l'industrie financière contrôlé par ses utilisateurs et dont la finalité est avant tout de s'inscrire dans la volonté et les stratégies de développement de la communauté. Il inclut la microfinance.

Coopératives: fait référence à une structure de propriété et non pas à la taille, à l'importance ou à la mission. Cette structure favorise l'appartenance à la communauté locale. Elle s'appuie sur des règles de fonctionnement précises: un membre, un vote, la non-appréciation du capital, l'indivisibilité de la réserve.

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