L'AFRIQUE AU RENDEZ-VOUS


Pourquoi l'Afrique se retrouve-t-elle tout à coup à l'ordre du jour des décideurs ? Gilles Rémillard, président de La Conférence de Montréal, qui consacre sa sixième édition à l'Afrique et au Moyen-Orient, parle d'un choix qui s'imposait : «Depuis trois ans, il y a manifestement un grand intérêt pour l'Afrique de la part des gouvernements. Ce continent qui a beaucoup souffert au cours du dernier siècle est en mouvement et présente à travers ses défis spécifiques de développement des occasions d'affaires très intéressantes pour les entreprises canadiennes. Notre objectif est de sensibiliser les Canadiens aux changements qui s'opèrent en Afrique et de discuter des possibilités d'affaires car l'Afrique ce n'est pas seulement des histoires d'horreur mais aussi beaucoup de grands succès ».
Abdoulaye Rokaya Wane, président du Groupe Scorpion, qui édite la revue Stratégies et s'occupe de conseil en communication sur les marchés internationaux dont l'Afrique, mise sur une approche communicationnelle bien ciblée : «Si on veut que le discours sur l'Afrique soit porteur, il faut qu'il soit véhiculé par des décideurs québécois qui ont une influence sur leur environnement et portent en eux les valeurs de référence de la société. Or, les hommes politiques tant au fédéral qu'au provincial ne croient pas en l'Afrique, il n'y a ni vision ni volonté politique et l'Afrique elle-même est productrice d'information négative. Les guerres, les coups d'État, la lourdeur administrative ne sont pas le fait des décideurs canadiens. Des événements de stature internationale au Canada ne peuvent qu'influencer positivement les perceptions. Bien au-delà des données macroéconomiques, il faut une information sur les occasions commerciales car les statisitiques n'informent pas sur les capacités d'approvisionnement des entreprises locales, leur crédibilité auprès des bailleurs de fonds ou le volume de leurs ventes».
Dans le même ordre d'idées, Jean Telé Udimba, directeur général du Club des ambassadeurs et des entrepreneurs pour l'Afrique, une organisation qui vise la promotion des investissements directs en Afrique et la création de fonds d'investissement pour le continent, se réjouit des initiatives de mai, qui tombent à point et se justifient aisément : «C'est la première fois que l'on organise simultanément des événements d'une telle envergure et cela n'est pas le fait du hasard. La croissance des investissements canadiens en Afrique est exponentielle. De 233 millions de dollars en 1989, ils sont passés à 777 millions en 1997. Le marché africain des biens et services représente un potentiel annuel de 100 milliards de dollars et une étude récente de la Banque africaine de développement souligne un marché de 200 milliards rien que pour les projets d'infrastructures au cours des 10 prochaines années».

Une question d'approche
Cet engouement pour l'Afrique ne risque-t-il pas de s'estomper après le départ des délégations africaines? Yaovi Bouka, président du Club des entrepreneurs et professionnels africains au Québec, pense que le succès à long terme du partenariat Canada-Afrique passe par trois facteurs essentiels : « Premièrement, il faut mettre en place de nouvelles structures de financement de type capital de risque, à vocation et à propriétés multiples, capables de mobiliser et de rassurer les investisseurs canadiens et africains dans le cadre d'une réelle expansion du commerce et de l'investissement privé en Afrique. Deuxièmement, il est impératif d'ouvrir les marchés canadiens aux produits africains en vue d'équilibrer les flux d'échanges économiques et commerciaux. Enfin, une implication directe et effective des gens d'affaires et professionnels afro-canadiens et africains s'impose pour la mise en œuvre d'un partenariat efficace ».

Investissement direct et ingénierie financière
Les entrepreneurs québécois installés en Afrique sont unanimes : la présence est un facteur de réussite important. C'est l'avis de Jean-Claude Simard, directeur général de la Société nationale d'électricité du Sénégal (Senelec), détenue à 34 % par le consortium canado-français Hydro-Québec-Elyo) : « La croissance existe en Afrique. Encore faut-il y être pour croître avec elle. Il faut que les entreprises canadiennes investissent en Afrique. Il est impossible de faire des affaires sans être sur place car les appels d'offres se font de plus en plus localement. Les petites entreprises peuvent profiter des nombreux marchés de sous-traitance ou s'implanter sur des créneaux sous-exploités leur assurant une croissance rapide en identifiant rapidement les ouvertures».
Le gestionnaire de la Senelec invite les bailleurs de fonds à s'adapter à la concurrence internationale : « Les programmes de financement canadiens sont bien adaptés aux pays riches mais pas aux pays en voie de développement. Pour l'implantation des entreprises et l'exportation des biens dans des marchés qui comportent un grand risque, il nous manque un instrument favorisant les investissements commerciaux comme un programme de prêts non garantis ».
M. Wane abonde dans le même sens: «L'Agence française de développement finance des entreprises françaises pour l'achat d'actions dans les compagnies africaines, ce qui leur permet de siéger aux conseils d'administration et d'octroyer des contrats au siège social. Quatre-vingts pour cent des exportations françaises en Afrique sont le fait de leurs filiales africaines. Il est urgent que les Canadiens mettent en place des outils financiers plus compétitifs. Par ailleurs, il y a aussi une ingéniérie financière et des leviers financiers sur place qui peuvent permettre l'aboutissement des projets dont on ne parle pas souvent.»

Multitude de marchés sectoriels
Des entreprises canadiennes ont su tirer leur épingle du jeu dans les échanges avec le continent. Le Québec se taille la part du lion, fait remarquer M. Udimba : « Si nous prenons les échanges entre le Canada et l'Afrique du Sud, 41 % sont réalisés avec le Québec, alors qu'avec l'Algérie on parle d'environ 40 %. Le groupe Chagnon de Varennes, par exemple, a réalisé des projets d'environ 168 millions de dollars en Côte-d'Ivoire depuis 20 ans, et 40 millions au Sénégal et, depuis 1998 d'environ 10 millions au Ghana. En 1998, 50 % des bénéfices de SNC-Lavalin provenaient des échanges avec l'Afrique, ce qui représente plus de 500 millions. Le Club prépare des études sectorielles pour démontrer le potentiel réel d'une Afrique dynamique occultée par l'Afrique malade ou désorganisée. Il faut aider les entreprises canadiennes à découvrir ce marché dans sa réalité et corriger la perception qui est négative ».
Loin de se limiter aux secteurs tertiaires, les occasions d'affaires pour les entreprises canadiennes s'étendent aux nouvelles technologies, fait remarquer M. Rémillard : «La nouvelle économie peut aisément s'inscrire dans les pays en émergence. Il y a possibilité de brancher le continent africain sans faire appel à des infrastructures lourdes et coûteuses grâce à des technologies nouvelles comme le téléphone cellulaire. Plusieurs avenues sont envisageables quand on garde l'esprit ouvert et différentes technologies canadiennes peuvent aider à répondre aux besoins de développement des pays africains».
Sur la foi de son expérience africaine, M. Simard indique trois grandes zones pour orienter les moins informés : «Il y a trois Afrique en ce qui a trait au marché: l'Afrique du Nord qui est un marché très sophistiqué où l'on peut vendre toutes sortes de biens; l'Afrique du Sud qui en plus des biens et services courants offre des possibilités pour les projets d'infrastructures, et l'Afrique subsaharienne constituée d'une multitude de petits marchés où il faut travailler avec des distributeurs locaux car on ne peut pas distribuer d'un point vers les autres. Je suggère aux entreprises québécoises qui débutent de se concentrer sur les pays à monnaie forte de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à cause de la langue française, d'une faible concurrence et d'une certaine uniformité macroéconomique». Dans sa diversité, le berceau de l'humanité offre des occasions à saisir pour ceux qui veulent se laisser initier par lui en ôtant les œillères de leur occidentalité.

CROISSANCE AFRICAINE
Les économies de l'Algérie, du Cameroun, de la Côte-d'Ivoire, du Ghana, du Mozambique, du Soudan, de la Tanzanie, de la Tunisie et de l'Ouganda ont affiché une croissance de 4 % à 5,5 % l'an dernier. (source : SEE)

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