Hors série : NUMÉRO ANNIVERSAIRE 20 ANS

par Monique Durand

POUR INVENTER L'AVENIR

Pour conclure ce numéro de «20e anniversaire», nous vous proposons un bouquet de réflexions, en fait, 20 recommandations pour l'avenir, comme autant de fleurs dont il faudra prendre un soin particulier au cours des prochaines années. Vingt paramètres sur lesquels concentrer notre énergie et travailler fort, comme nous le souligne régulièrement l'éditeur du magazine. Car, souvenons-nous-en toujours, nous, entrepreneurs québécois, sommes condamnés à être les meilleurs!

Femmes et hommes qui dirigeons une entreprise ou Suvrons dans le domaine des affaires, ces recommandations nous concernent d'abord. Elles visent à vivifier nos façons de faire, mais aussi à préparer une relève dynamique qui saura prendre les commandes avec détermination et compétence, et assurer la poursuite des choses. Elles s'adressent aussi à ceux et celles qui nous gouvernent, car ils ont un rôle essentiel à jouer dans l'édification d'un Québec entrepreneurial toujours plus efficace, solide et débordant de vitalité.
Enfin, ces recommandations touchent l'ensemble de la société québécoise, étant entendu que l'esprit d'entreprise et le goût d'entreprendre ne sauraient se répandre que dans un Québec confiant en son avenir et en bonne santé.
Voici donc ces 20 fleurs sur lesquelles il faut veiller pour en assurer l'efflorescence, la luxuriance et l'abondance.
I. Pour un entrepreneuriat plus vigoureux et plus prospère

1. Aiguiser notre sens du risque
Oser dépasser ses limites et déborder les frontières. C'est Daniel Lamarre, PDG du Cirque du Soleil, qui déplorait que les Québécois, par manque d'audace, de confiance ou simplement sous prétexte qu'ils ne maîtrisent pas l'anglais, s'empêchent d'aller faire des affaires ailleurs. Fonçons! La société québécoise recèle, par ailleurs, de plus en plus d'institutions qui consentent à investir en capital de risque. Pensons-y! Songeons aussi à regrouper nos intelligences et nos capitaux dans une optique de partage des risques. Le Québec se distingue déjà par un système fort développé de coopératives et de mutuelles. Osons!

2. Voir plus loin que nous-mêmes
«Nos entreprises disparaissent trop souvent avec ceux ou celles qui les ont créées», lançait l'expert Richard Langevin. Assurer la pérennité de nos entreprises en préparant une relève compétente et responsable, et en mettant en place des mécanismes adéquats de passation des pouvoirs, voilà un défi capital qui se pose à l'entrepreneuriat du Québec. Et le défi est encore plus considérable pour les entreprises familiales. Les statistiques de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante sont éloquentes : les deux tiers de nos entrepreneurs passeront le flambeau d'ici 5 à 10 ans, et à peine 20 % d'entre eux s'y préparent!

3. Améliorer la productivité de nos entreprises
Au Québec, nous investissons moins qu'ailleurs au Canada pour renouveler les procédés de production et acquérir de l'équipement plus performant. Comment alors envisager la possibilité de concurrencer les pays émergents, par exemple? «On a des atouts, mais les atouts ne peuvent pas travailler tout seuls!» déclarait récemment à Entreprendre Françoise Bertrand, la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec.

4. Apprendre l'anglais
Au Lac-Saint-Jean, seulement 15 % des entrepreneurs recensés affirment pouvoir converser en anglais. La situation est similaire dans d'autres régions du Québec. Comment alors pouvoir projeter de faire prendre à son entreprise le virage de la croissance, lié la plupart du temps aux échanges, à la collaboration et au commerce avec l'extérieur? Continuons d'exiger de faire des affaires en français au Québec, mais n'hésitons pas à acquérir la maîtrise de la langue de Shakespeare pour favoriser nos ambitions d'expansion outre-frontières!

5. Aller au bout de nos idées
C'est bien beau de développer des idées et d'inventer des produits, mais nous, Québécois, avons une certaine difficulté à commercialiser le fruit de nos efforts. On pense à tout, sauf à «ça» : distribuer et mettre en marché ce qui, souvent, nous a pris des années à concevoir et à concrétiser! Mettons-y les efforts nécessaires, rendons-nous jusqu'au bout! C'est là que ça devient intéressant& Et puis, incitons nos gouvernants à mettre en place des politiques d'appui novatrices.

6. Investir dans la matière grise
Devant l'inéluctable déclin des industries manufacturières ou liées à l'exploitation des matières premières, et pour faire face aux vagues de délocalisations, songeons à nous convertir à d'autres secteurs d'activités! Et des secteurs où nous pourrons nous distinguer et offrir des produits inédits, des services novateurs! Et comment donc nous faire remarquer, inventer, produire de l'inédit? Une clef : investissons dans notre matière grise, formons- nous, instruisons-nous, spécialisons-nous! Devenons experts en nos matières, bref, faisons-nous les meilleurs!

7. Se donner un nouvel équilibre de vie
On travaille de moins en moins selon les modèles traditionnels. Les nouveaux entrepreneurs n'ont plus vraiment d'horaire, et parfois même plus vraiment de lieu. Leurs tâches les poursuivent à la maison, au restaurant, au gym, dans la salle d'attente du dentiste, dans la voiture et& en vacances. Résultat? Plusieurs finissent par travailler tout le temps! Faisons attention à nous, à nos proches, essayons d'établir, dans cette vie trépidante et débordée qui est la nôtre, une sorte d'équilibre et d'harmonie entre ce qui relève du travail proprement dit et ce qui devrait être exclusif à la vie familiale, à la vie pour soi! Votre vie professionnelle gagnera à être soutenue par une vie personnelle riche et réconfortante.

II. Inoculer la passion d'entreprendre à
notre relève


8. Transmettre le goût d'entreprendre
Il y a au Québec moins d'entrepreneurs qu'ailleurs au Canada. Sachons donc transmettre à nos enfants ou à la génération montante la flamme, l'appétit d'entreprendre! C'est un choix de vie exaltant, rempli de défis, un rempart à la routine! «L'entrepreneuriat, c'est une façon de vivre!» s'exclamait Liliane Colpron, la fondatrice de la florissante entreprise Première Moisson. Elle a tellement raison. Vous devenez votre propre patron, votre propre employeur, et vous prenez en main votre destinée : quelle belle aventure!

9. Développer la culture du mentorat et du coaching
La culture du mentorat et du coaching est relativement jeune chez nous. Développons-la! La moitié de nos jeunes entreprises ne franchiront pas le cap des cinq ans, souvent faute de conseils adéquats venant de personnes d'expérience qui pourraient devenir mentors de ceux qui les dirigent. Par ailleurs, les entreprises ont trop souvent tendance à embaucher des jeunes déjà formés et expérimentés& Attention! Soyons réalistes! Il revient à chaque organisation de veiller à ce que la relève en son sein soit accompagée de conseillers, de coaches ou de parrains. Voyons-y!

10. Assurer le transfert des connaissances entre les générations
Il est impératif que nous sachions transmettre les connaissances et les savoir-faire aux plus jeunes, car certaines règles de l'art de l'entrepreneuriat ne peuvent s'apprendre que «sur le tas», comme on dit, sous le regard bienveillant et la supervision attentionnée des personnes plus expérimentées et chevronnées.
En cela, Hydro-Québec est exemplaire et peut servir de modèle à l'entreprise privée. Par exemple, Isabelle Courville, présidente d'Hydro-Québec TransÉnergie, nous expliquait que la moitié des 160 «monteurs de lignes» qu'elle dirige auront pris leur retraite d'ici cinq ans. Les solutions qu'elle a imaginées avec ses collaborateurs? La formation de jeunes employés en mode accéléré, le transfert de connaissances entre ingénieurs et techniciens à un rythme intensif ou, enfin, la pré-embauche, c'est-à-dire cette formule novatrice qui consiste à aller chercher les meilleurs étudiants là où ils se trouvent et à les mettre sous contrat avant même qu'ils naient terminé leurs études.

11. Encourager l'excellence partout et toujours
Dans un monde où la compétition est toujours plus féroce, il nous faudra cultiver le sens de l'excellence sur tous nos chemins. L'excellence? Elle commence par le travail soigné. Car, c'est bien connu, ce qui mérite d'être fait, mérite d'être bien fait. Il faut nous le rappeler sans cesse, nous qui évoluons dans une société que la consommation et la «facilité» rendent parfois quelque peu insouciante, l'incitant à un certain laisser-aller. Retroussons-nous les manches et fini les coins ronds!

12. Inciter à une plus grande maîtrise
de la langue française

Une personne qui ne sait pas parler correctement finit par ne pas savoir penser correctement. Johanne Berry, directrice de l'agence de placement Télé-Ressources, déclarait à Entreprendre que l'un des principaux handicaps chez les jeunes et moins jeunes qui recourent à ses services réside dans leur difficulté à bien s'exprimer. Comment faire en sorte qu'un courriel ait l'air «intelligent» si la langue y est torturée? Et comment donner une image positive de soi-même, devant un comité de sélection par exemple, si les mots justes et clairement exprimés manquent? Incitons nos enfants, nos employés, nos collègues et nos collaborateurs à s'exprimer dans un français soigné. On soigne bien sa mise pour se donner belle apparence, pourquoi ne pas bien habiller nos pensées?

III. Recommandations à ceux et celles qui nous gouvernent

13. Investir tous azimuts dans l'éducation
On a trop négligé la question primordiale de l'éducation, sur laquelle nous n'insisterons jamais assez. Il est impératif de nous pencher sur des solutions rapides, concrètes et durables au sous-financement chronique de nos collèges et de nos universités.
Plus généralement, l'éducation doit devenir, comme l'écrit Edmond Bourque en éditorial du présent numéro, «le navire amiral de la flotte québécoise»! Et l'éducation, prise dans son sens large, c'est-à-dire qui vise à former des personnes en les dotant d'une culture générale solide. Pour en faire des êtres complets, quoi! Le chroniqueur bien connu de La Presse, Pierre Foglia, affirmait dans nos pages, il y a quelques années, que «lire des romans, c'est aussi bon que lire des ouvrages sur le marketing pour le plan de carrière!» Comment lui donner tort? Les entreprises ne cherchent plus aujourd'hui des robots de perfection dans leur domaine, mais des hommes et des femmes inventifs, intelligents et cultivés, capables de jugement, de discernement et aptes à exercer un leadership éclairé.

14. Réduire les tracasseries administratives du démarrage
Pour lancer une entreprise, au Québec, c'est encore la croix et la bannière! «Il y a des limites aux embûches qu'un entrepreneur débutant peut supporter!» lançait Françoise Bertrand, la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec. S'il y a eu amélioration depuis quelques années, reconnaissait-elle, «il y a encore 92 000 démarches [sic] à faire pour se lancer». Trop, beaucoup trop. Et le Québec a besoin d'entrepreneurs en grand nombre. Facilitons-leur une tâche déjà énorme!

15. Imaginer des solutions modulées
en fonction des régions

Des solutions universelles, appliquées «mur à mur», comme on entend parfois, s'avèrent difficiles à gérer et surtout inefficaces! L'aide aux entreprises en Gaspésie et l'aide aux entreprises à Laval, c'est deux! Tenons-en compte! Et laissons aux régions elles-mêmes, qui sont les plus au fait des besoins entrepreneuriaux locaux, et donc les plus compétentes en l'occurrence, le soin d'administrer les programmes gouvernementaux et les budgets qui viennent avec!

16. Mettre l'accent sur la formation de la main-d'œuvre
Le Québec, en particulier dans les régions, souffre d'une pénurie criante de main-d'œuvre spécialisée. Dénicher un soudeur, un électricien ou même un arpenteur sur la Côte-Nord, en Abitibi ou dans le Bas-Saint-Laurent devient souvent un casse-tête. Et le manque de main-d'œuvre, bien sûr, nuit directement au développement de nos entreprises. Il est déjà trop fréquent que des entrepreneurs se voient contraints de refuser des commandes, faute de personnel pour les honorer! Nous avons dévalorisé la formation professionnelle dans les écoles et les collèges : sur ce sujet, il y a unanimité. Alors, agissons pour éviter un tel cul-de-sac!

17. Encourager les
investissements privés

Au Québec, les investissements privés ne représentent que 18 % du PIB, alors qu'en Ontario, par exemple, ils représentent 30 %. À l'instar d'autres entrepreneurs d'ici, Yves Séguin, ancien ministre québécois des Finances, aujourd'hui conseiller chez Interinvest, préconise des déductions fiscales ou des crédits d'impôt directement liés à l'investissement. De telles mesures encourageraient les gens à investir dans nos entreprises!

IV. Pour une société fière d'elle-même
Une société fière d'elle-même sera plus foisonnante en entrepreneurs dynamiques. Nos trois dernières recommandations sont destinées à alimenter la réflexion sur notre avenir collectif. Elles ont trait à la conception que nous avons de nous-mêmes, comme personnes et comme société. Et ce sont de grandes questions qui touchent à la fibre même de notre identité québécoise et à cette confiance en l'avenir qui fait avancer les peuples. Des questions sur lesquelles les spécialistes se penchent déjà, et auxquelles tôt ou tard nous seront obligés de répondre et d'apporter de bonnes solutions.

18. La question de la dénatalité
Le Québec présente l'un des taux de natalité les plus faibles de la planète. Même si l'on a constaté une légère amélioration depuis peu, le contexte démographique fait que le nombre de décès continue de dépasser annuellement le nombre de naissances. Cette situation, que l'on retrouve dans la plupart des pays occidentaux, a une cause, le vieillissement de la population, et entraîne deux conséquences majeures : premièrement, la raréfaction d'une jeune relève; deuxièmement, la diminution du nombre d'habitants dans les régions périphériques tout particulièrement, phénomène qu'amplifie l'exode vers les villes et qui se vérifie partout sur la planète. Déjà, nous disait André Caron, président de la Fédération des commissions scolaires du Québec, on prévoit une baisse de clientèle de 85 000 élèves d'ici cinq ans à travers le Québec, l'équivalent de l'actuelle clientèle de la Commission scolaire de Montréal!
Comment ferons-nous pour faire face à ce gigantesque défi posé à notre société? Par des politiques visant à augmenter la natalité? Par l'immigration? Par l'allongement de la vie active des travailleurs? Gardons-nous de sombrer dans un alarmisme inhibant, et tentons d'y réfléchir sereinement.

19. La question du décrochage scolaire
Le Québec accuse un très important taux de décrochage scolaire, en particulier chez les garçons. «Et c'est d'autant plus troublant que nous vivons dans une économie du savoir!» s'inquiète Claude Béland, l'ancien président du Mouvement Desjardins. Ce dernier reproche à certains employeurs de nuire aux jeunes qui pourraient poursuivre leurs études, en leur offrant des «jobbines» au salaire minimum, sans trop se soucier des conséquences sur leur vie future.
Comment ferons-nous face à ce formidable défi de société? Comment arriverons-nous à convaincre les garçons de poursuivre et de terminer leurs études? Comment réussirons-nous à leur inoculer le goût d'apprendre et d'étudier, l'envie d'aller plus loin, d'exceller, de se dépasser? Quels modèles d'hommes et de femmes offrons-nous à nos jeunes? Notre monde qui privilégie la consommation effrénée et la satisfaction instantanée des désirs aurait-il à voir avec le phénomène du décrochage scolaire? La championne olympique Sylvie Fréchette, aujourd'hui conférencière, répète sans cesse le même message aux jeunes qui veulent tout, tout de suite : les rêves ne sauraient aboutir qu'à force d'un intarissable désir d'aller jusqu'au bout et d'un engagement patient.

20. Un regard à long terme
Comment voyons-nous le Québec, et nous, et nos enfants dedans, à l'horizon de 2025, de 2050? Que serons-nous devenus collectivement? Aurons-nous tenu nos promesses? Formerons-nous une société plus intelligente, plus critique, plus prospère, plus juste, plus ouverte, plus heureuse? Que sommes-nous en train de faire pour assurer cet avenir?
Y mettons-nous la conviction et les moyens nécessaires?
Alors que nous refermons notre numéro «20e anniversaire», nous, l'équipe et les collaborateurs d'Entreprendre, faisons le pari de l'espoir. En souhaitant que vous gardiez en bouche, et pour longtemps, le goût de cet espoir-là, comme le meilleur des grands vins. Un espoir qu'incarnent toutes ces personnalités exceptionnelles dont nous vous avons présenté le parcours et les rêves.
Je ne saurais clore ces pages sans remercier les centaines de femmes et d'hommes qui se sont généreusement prêtés à l'exercice de répondre à nos questions et qui ont contribué à nourrir de leurs réflexions ce numéro anniversaire. Et qui, en outre, par leur témoignage, ont voulu partager leur attachement indéfectible au magazine Entreprendre.
 
Magazine Entreprendre. Le magazine des gens qui ont l'esprit d'entreprise