Hors série : Les fées ont encore soif

par Monique Durand

La Terre est notre jardin

Elles voulaient changer le monde. Et elles l'ont fait! Ces 101 femmes dont vous venez de lire les témoignages ont contribué, chacune à leur mesure et à leur façon, à transformer quelque peu notre monde.

Il en faudra davantage de ces femmes, et partout sur la planète bleue. Car les femmes sont l'espoir de la Terre.
En Afrique, ce sont elles qui tiennent leur continent à bout de bras, le préservant du chaos, impliquées dans toutes les sphères de l'existence, à l'échelle des villes, villages ou quartiers, luttant pour obtenir l'électricité, de l'eau potable, pour la scolarisation des enfants. Au Proche-Orient, des Palestiniennes, des Israéliennes, des Libanaises travaillent chaque jour à instaurer la paix sur ces territoires en feu et en cendres. En Asie, des Pakistanaises, des Indiennes, des Afghanes, œuvrent quotidiennement à extirper leur pays des griffes de la misère et des intolérances ethniques et religieuses. En Amérique du Sud, le travail des femmes est incontournable dans les favelas, dans les bidonvilles et les campagnes les plus reculées
En Europe, Angela Merkel vient d'être élue chancelière en Allemagne, première femme à occuper ce poste. Tandis qu'en France, la socialiste Ségolène Royal lorgne la fonction présidentielle, avec des appuis de plus en plus solides dans les sondages. Et plus près de chez nous, aux États-Unis, ce n'est plus de la science-fiction maintenant que d'imaginer une lutte qui pourrait opposer la républicaine Condoleezza Rice à la démocrate Hillary Clinton aux prochaines élections à la présidence.
Au Québec, les groupes communautaires, les associations caritatives, les organismes de défense environnementale et de coopération internationale sont majoritairement peuplés de femmes qui considèrent que la Terre est notre jardin commun et qu'il faut donner un coup de main à nos voisins-voisines, où qu'ils se trouvent sur le globe.

Les femmes ont autre chose à dire
Les femmes font les choses autrement : nos interviewées sont presque unanimes sur ce point. Elles font les choses autrement, peut-être «parce qu'elles ont autre chose à dire que les hommes», nous disait l'écrivaine Madeleine Gagnon. Elles ont autre chose à dire, et le monde est en train de les entendre.
Mais attention! Il faudra que les femmes restent vigilantes! Leurs acquis sont fragiles, l'histoire de leur émancipation si neuve encore et, pour le moment, limitée à quelques pays riches. Les filles et les jeunes femmes s'imaginent trop souvent, avec quelque insouciance, que les victoires durement arrachées par leurs mère et grand-mères sont définitives. Il faudra demeurer aux aguets!
Il y a cette droite conservatrice qui restera toujours prompte à remettre en question les droits des femmes sur le plan de la maîtrise de leur corps, et qui préférera les renvoyer aux poussettes et aux fourneaux.
Il y a ces «masculinistes» — mot nouveau depuis quelques années — dont le discours trouve de plus en plus d'échos dans les médias : pour eux, le féminisme serait responsable de tous les maux de la société et de tous les problèmes des hommes : décrochage scolaire, haut taux de suicide, perte de références identitaires.
Et puis il y a cette mode vestimentaire qui hypersexualise les filles d'aujourd'hui, phénomène qui semble remettre en scène la femme-objet contre laquelle se sont battues les féministes depuis 40 ans.
Il faudra que les femmes restent vigilantes.

Où concentrer les efforts?
Des recommandations pour l'avenir sont revenues sur les lèvres de plusieurs de nos interviewées, certaines ayant trait aux pouvoirs publics, d'autres relatives aux entreprises privées, d'autres encore préconisant un changement des mentalités sous plusieurs aspects. Voici les principales dont elles ont fait état.

Du pain sur la planche pour les gouvernements
L'équité salariale devra se matérialiser de manière sonnante et trébuchante dans le portefeuille des femmes. Il faut voir finir ce temps où les femmes travaillent en étant moins bien payées que les hommes, pour des tâches équivalentes.
Il faut aussi que les gouvernements fassent davantage pour aider financièrement les jeunes femmes et les hommes qui envisagent d'avoir un ou plusieurs enfants. En plus d'améliorer la flexibilité du système de garde et d'en réduire les coûts pour les parents.
Il faut enfin que des mesures gouvernementales vigoureuses soient mises de l'avant pour réduire la pauvreté, un fléau qui touche davantage les femmes que les hommes.

Du pain sur la planche pour l'entreprise privée
Il faut que les entreprises imaginent de nouvelles modalités d'embauche et de nouveaux critères de recrutement de leur personnel, de manière à crever enfin ce fameux plafond de verre qui empêche les femmes d'accéder aux plus hauts postes.
Il faut, par ailleurs, que les conseils d'administration, sous l'impulsion de nouvelles règles d'éthique et de gouvernance, trouvent des façons d'accueillir plus de femmes en leur sein. Même chose pour les grands cabinets juridiques, qui devront permettre à plus d'avocates qui y travaillent d'en devenir des associées à part entière.

Les mentalités doivent encore changer!
Il faut poursuivre sur la voie d'un meilleur partage des responsabilités familiales, car celles-ci incombent encore trop souvent, et comme toujours trop «naturellement», aux femmes. Rêvons : il n'y aurait plus de superwomen, mais seulement des femmes, aux journées bien remplies certes, mais qui pourraient se reposer sur d'autres épaules, celles de leur compagnon, pour les tâches domestiques et le soin des enfants.
Il faut, par ailleurs, que plus de femmes investissent les chasses gardées masculines, du côté des sciences, notamment. C'est Julie Payette qui l'affirme : une société qui hausse le niveau général de ses connaissances scientifiques est le gage d'une société plus ouverte et plus sage. Attention aux stéréotypes qui semblent toujours prompts à revenir en force : les bébés filles en rose et les bébés garçons en bleu! Les filles en sciences humaines et les garçons en sciences pures!
Et du côté de la politique, maintenant. Les partis politiques doivent consentir des efforts particuliers pour accueillir et attirer davantage de femmes. Et les femmes elles-mêmes doivent se persuader encore davantage que la politique reste le meilleur moyen de changer les choses. Benoîte Groult, au bout d'une vie de réflexion et de féminisme, l'affirme haut et fort : il faut plus de femmes en politique, dans les appareils de parti aussi bien que dans les parlements.
Et du côté des pouvoirs religieux donc! Même si le pontificat de Benoît XVI semble régresser sur le front de l'ouverture aux femmes, il faut que celles-ci, sans faillir et sans se décourager, continuent de lutter. Marie Gratton nous le disait : il s'agit là d'une des plus grandes injustices de notre temps à l'endroit des femmes.

La force des femmes
Si la vaste majorité de nos interviewées se disent optimistes quant à l'avenir des femmes au Québec, par contre, elles ne cachent pas leurs inquiétudes sur l'avenir de la société québécoise : déficit de la pensée, de l'esprit critique, de l'éducation. Et sur l'avenir de la planète : misère du tiers-monde, guerres, épidémies, sous-développement, saccage de l'environnement, une planète où des milliards de femmes ne sont pas encore des sujets à part entière!
La force des femmes, et leur capacité à changer le monde, viendra de leur nombre. Mais cette force viendra aussi, elle est déjà là, vibrante, parce que les femmes seront restées profondément elles-mêmes. Avec leurs façons de faire à elles, leurs états d'âme, leurs emportements, leurs doutes aussi, leurs interrogations, prenant bien soin de ne jamais laisser s'éteindre en elles la faculté de s'émouvoir, de compatir, de se révolter, de se scandaliser, de s'engager. En un mot, la faculté d'oser être elles-mêmes, à l'image de ces 101 femmes dont nous vous avons proposé le parcours de vie.
Je voudrais conclure ces pages en remerciant toutes ces femmes qui, avec générosité et franchise, ont accepté de nous livrer leurs réflexions. C'est inspirée par elles toutes que j'ai œuvré avec bonheur à la réalisation de ce quatrième numéro spécial du magazine Entreprendre consacré aux femmes.
 
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