Hors série : L'éthique et les affaires, une quête de sens

par Par André Beauchamp, président de la Commission de l'éthique de la science et de la technologie de 2001 à 2005

Une tâche qui ne fait que commencer

À travers l'histoire, éthique et morale ont pris des sens différents, mais encore aujourd'hui, des gens confondent l'un et l'autre. Certains perçoivent l'éthique comme de la morale à rabais, d'autres trouvent la morale étouffante et astreignante avec des relents de vieillerie.

Le mot morale en est venu à désigner un système de prescriptions pour guider la conduite humaine. La morale découle souvent d'un cadre religieux qui insiste sur les devoirs et les obligations. Sa formulation idéale est celle de la tradition biblique du décalogue : «Tu ne tueras pas.» Chacun connaît la suite.

Au cours de son évolution et de sa mise en œuvre, le mot éthique, lui, a acquis plusieurs sens. Il désigne d'abord la science de la morale, c'est-à-dire un discours rationnel à propos des conduites humaines. C'est principalement un discours philosophique qui ne s'inscrit pas dans des convictions religieuses, a priori, et qui met en œuvre le doute systématique.

Ce discours est donc incitatif plus qu'impératif, suggestif plus que prescriptif. Comme il ne peut faire appel à aucune autorité extérieure et qu'il n'y a plus, dans notre société, de consensus sur la nature humaine, sur ce qu'est être un homme et une femme, il s'ensuit que l'éthique tend à devenir une éthique de la discussion. C'est par la discussion rationnelle que les acteurs en viennent à faire consensus sur les façons responsables de vivre aujourd'hui.

Le mot éthique a également un deuxième sens, très courant : ce qu'on appelle «éthique appliquée». Il s'agit alors de réfléchir rationnellement et souvent en groupe sur un champ d'application de l'éthique : questions posées par la biologie ou la bioéthique, éthique des affaires, des loisirs, de l'environnement... L'éthique, au premier sens du mot, est générale, théorique. Ici, elle est ciblée sur un secteur de l'activité humaine.

En un troisième sens, l'éthique désigne la détermination des conditions concrètes d'une décision. Il suffit de penser aux comités d'éthique en milieu médical. On y décide si on doit procéder à une opération, si on doit prolonger à tout prix la vie d’un malade, procéder à une transplantation, etc. C'est alors l'éthique clinique, l'étude de cas très précis. On peut penser également aux comités d'éthique sur la recherche.

Éthique de conviction et éthique de responsabilité
Au plan sociologique, il faut rappeler une distinction que faisait le sociologue Max Weber au début du xxe siècle. Weber invitait à distinguer deux types de discours éthiques : l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité.

Le tenant de la première affirme une valeur et y tient coûte que coûte, quelles qu'en soient les consé- quences. Pensons au débat sur l'avortement et à des partisans pro-vie qui défendraient le fœtus au risque de la vie de la mère. À l'opposé, le tenant de l'éthique des responsabilités juge de la validité de sa décision à partir des conséquences qui s'ensuivront. Les militants sont plutôt partisans d'une éthique de conviction, et les gestionnaires, d'un jugement prudentiel sur le résultat escompté d'une action.

Dans tout débat social, il y a toujours des tenants de la conviction et des tenants de la responsabilité. Quand il y a crise, les premiers ont le haut du pavé. Les médias les aiment bien parce qu'ils livrent un message simple, clair et ils donnent un bon spectacle. Pour leur part, les tenants de la responsabilité ne sont pas sans conviction, mais ils cherchent à voir plus loin et à tenir compte de toute la complexité du réel.

Un marché en expansion
La demande pour l'éthique est à la hausse et la production de la réflexion éthique est en plein essor. On peut parler d'un marché en expansion, d'une diversification de l'éthique et d'un effort considérable pour répondre à des questions de plus en plus pointues.

Même les États doivent créer des commissions d'éthique afin d'éclairer leurs propres décisions. Quel est le sens de cette demande accrue? C'est d'abord et avant tout pour répondre à des questions nouvelles et difficiles : banques de données génétiques, OGM, dons d'organes, utilisation de cellules souches, etc. Parce que nous avons perdu certains repères et que la science, repoussant sans cesse les limites du savoir, fait apparaître de nouvelles possibilités, l'inquiétude éthique est grandissante.

Cette quête est encourageante et tout à notre honneur. Mais est-ce un simulacre pour nous permettre, finalement, de tout faire? N'y a-t-il pas toujours quelque part un irresponsable qui passe à l'acte, je pense ici en particulier au clonage ou même à d'éventuelles chimères?

Jacques Ruffié, ce grand biologiste et humaniste, rappelle que l'éthique est propre aux humains. Dans le règne animal, les conduites sont fixées par l'instinct, le dressage et le groupe. Il ne semble pas y avoir chez l'animal de représentations des fins ni de stratégies délibérées d'organiser la conduite. L'étude des conduites animales s'appelle éthologie. Chez les humains, l'éthique prend le relais, mais le problème est qu'on peut la contester et l'enfreindre.

Quoi qu'il en soit, l'explosion de l'éthique montre que de nouveaux problèmes se posent. Elle ne signifie pas, toutefois, que nous nous conduisons mieux que nos prédécesseurs.
 
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